Organisée à Dubaï, pays classé huitième producteur mondial de pétrole, sous la présidence éminente du controversé Sultan Ahmed Al-Jaber, la COP 28 se présente comme une opportunité cruciale pour les États Africains et les organisations de la société civile. C’est l’occasion de confronter les lobbyistes des énergies fossiles, et ce, dans le dessein de défendre vigoureusement les intérêts de se mouvoir vers des solutions énergétiques propres.
Une alerte mondiale retentit à la COP 28, préfigurant l’effondrement climatique
D’entrée de jeu, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, frappe fort : « Nous sommes témoins d’un effondrement climatique en temps réel, aux conséquences dévastatrices. Cette année, des incendies, des inondations et des températures extrêmes ont frappé des communautés du monde entier. Un réchauffement record devrait secouer les leaders mondiaux et les pousser à agir. »
Cette déclaration d’Antonio Guterres souligne l’urgence pressante pour les dirigeants mondiaux de prendre des mesures concrètes. Plusieurs rapports scientifiques sur le climat ont lancé des alertes, dont celui de l’ONU prédisant que 2023 sera l’année la plus chaude jamais enregistrée.
Selon l’organisation, la température moyenne mondiale a déjà augmenté de 1,4° par rapport à l’ère préindustrielle, et le réchauffement climatique mondial pourrait atteindre 2,9 degrés d’ici 2100 même si les États maintiennent leurs engagements actuels. Cela confirme un échec flagrant par rapport à l’objectif de l’accord de Paris, qui vise à limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré d’ici 2100.
Face à cette menace, il est crucial de noter que le continent africain, contributeur à moins de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, est le plus durement touché. Un paradoxe frappant alors que ce même continent dont 600 000 000 de personnes n’ont pas accès à l’électricité, détient 40% des réserves mondiales de cobalt, de manganèse et de platine, selon la déclaration de Nairobi.
Fort de ce constat, la plupart des dirigeants africains ont pris des mesures audacieuses au cours des premiers jours de cette COP 28 pour faire face à cette crise climatique imminente.
La Tribune des Chefs d’États Africains: Des Engagements pour une transition Énergétique Ambitieuse
Dans un élan unanime, les chefs d’États africains réunis à la COP 28 ont affirmé la volonté de l’Afrique de jouer un rôle central dans la lutte contre le changement climatique. Le Président kenyan, William Ruto, a ouvert le bal en déclarant que « l’Afrique est prête à jouer pleinement son rôle dans la lutte contre le changement climatique. » Rappelant le succès du sommet de Nairobi, il a plaidé en faveur du triplement de la part des énergies renouvelables, avec l’objectif ambitieux de sortir du charbon d’ici les prochaines décennies. Le Kenya a également promis de faire la transition complète vers les énergies renouvelables d’ici 2050 et a réitéré les demandes inscrites dans la déclaration de Nairobi.
Pour favoriser cette transition énergétique, le Président du Mozambique, Filipe Nyusi, a souligné qu’« il faut considérer l’opportunité que représentent les crédits carbone et améliorer le stockage de CO2. » Un point de vue partagé par le Président zimbabwéen, Emmerson Mnangagwa, qui a exprimé son soutien au développement du marché du carbone.
La Namibie, de son côté, a proposé de mettre l’accent sur le développement de la filière de l’hydrogène vert, tandis que le Président du Congo, Denis Sassou Nguesso, a insisté sur le rôle vital du bassin du Congo en tant que régulateur mondial du carbone. La Guinée-Bissau a annoncé avoir classé plus de 26% de son territoire en zone protégée, soulignant la nécessité de financements accrus pour soutenir de tels efforts.
Zoom sur le Sénégal
Lors de la COP28, le Président sénégalais Macky Sall a mis en avant l’urgence climatique persistante, soulignant que le réchauffement planétaire se rapproche dangereusement de la limite critique des 2°C, depuis les 8 années qui nous séparent de l’entérinement de l’Accord de Paris. Il a souligné l’importance de cette rencontre en tant que “COP des engagements tenus”, mettant en avant la nécessité de prendre des décisions concrètes.
Les priorités énoncées par le Président Macky Sall impliquent une baisse importante des émissions de gaz à effet de serre, la gestion des pertes et dommages liés au changement climatique, ainsi que la mobilisation des ressources pour financer des initiatives climatiques significatives. Il a également insisté sur la nécessité d’une transition énergétique juste, soulignant que les pays en développement ne devraient pas être contraints de choisir entre le développement et la protection de l’environnement.
Macky Sall s’est préoccupé des mesures unilatérales visant à interdire les financements étrangers pour les énergies fossiles, soulignant l’injustice dans l’utilisation de sources plus polluantes par les principaux pays pollueurs. Il a révélé les initiatives concrètes du Sénégal, notamment la récente signature du Partenariat pour une Transition énergétique juste (JETP), visant à augmenter la part des énergies renouvelables de 31 à 40% d’ici 2030. Dans le cadre de ce partenariat, le Sénégal est prêt à discuter de la réorientation des ressources prévues pour le remboursement de la dette vers le financement de l’action climatique, démontrant ainsi son engagement envers des solutions concrètes et immédiates.
Dans l’ensemble, la mise en opération d’un fonds pertes et préjudices a été saluée, mais les Seychelles ont rappelé l’importance cruciale que ce fonds soit accessible à ceux qui en ont le plus besoin. Les engagements africains à la COP 28 dessinent ainsi une feuille de route ambitieuse vers une transition énergétique et des actions concrètes pour faire face au changement climatique.
COP 28 : ce que révèlent les chiffres
En tant que pays hôte de la COP28, les Émirats Arabes Unis, acteur majeur de l’industrie pétrolière, dévoilent une initiative audacieuse. Le président Cheikh Mohamed Ben Zayed Al-Nahyane annonce la création d’un fonds public-privé colossal de 30 milliards de dollars. Une somme considérable, dont 5 milliards sont spécifiquement alloués aux nations les plus démunies. Cette démarche suggère que les producteurs d’hydrocarbures pourraient continuer leurs exploitations, à condition de contribuer au fonds appuyant la fourniture de solutions de captage et de stockage du carbone.
Les négociations, quant à elles, oscillent entre l’appel pressant à abandonner les énergies fossiles et la proposition de compensations jugées insuffisantes pour les nations du Sud. Le Secrétaire Général de l’ONU souligne une nécessité impérieuse de transition énergétique, déclarant : « Nous ne pouvons pas sauver une planète en feu avec une lance à incendie de combustibles fossiles. » Il plaide pour la fin des subventions aux énergies fossiles, évaluées à 7000 milliards de dollars par an.
Emboîtant le pas, le président français Emmanuel Macron exhorte le G7 à renoncer au charbon. Près de cinquante industries pétrolières s’engagent à atteindre la « neutralité carbone » d’ici 2050, avec l’arrêt du brûlage systématique de gaz d’ici 2030, visant ainsi à réduire les émissions de méthane à quasi zéro.
Sur le front financier, la COP28 témoigne d’engagements significatifs. Le fonds « pertes et dommages » reçoit une injection de 720 millions de dollars, visant à soutenir les nations vulnérables face aux conséquences dévastatrices du changement climatique. Les Émirats Arabes Unis, et l’Allemagne, marquent l’événement en promettant respectivement 100 millions de dollars. La Grande-Bretagne et le Japon s’engagent également, avec des contributions de 46 millions et 10 millions de dollars.
Cependant, les États-Unis, en tant que deuxième plus grand pollueur mondial derrière la Chine, suscitent des interrogations avec une promesse financière relativement modeste, soit 16 millions d’euros. Malgré cela, ils réitèrent leur engagement envers l’action climatique en dédiant trois milliards de dollars au Fonds vert pour le climat, qui compte déjà plus de 20 milliards de dollars de promesses de don, jouant un rôle crucial dans l’effort mondial d’atténuation des effets du changement climatique.
Par ailleurs, la société d’investissement danoise, Copenhagen Infrastructure Partners, projette de lever 3 milliards de dollars pour financer des projets d’énergies renouvelables dans les marchés émergents, contribuant ainsi à la transition vers une économie plus respectueuse de l’environnement. La COP28, en réunissant ces acteurs et engagements, ouvre la voie à des discussions cruciales sur la trajectoire climatique mondiale.
Des résultats en deçà des attentes des États Africains
Les premières analyses de la Cop 28 laissent entrevoir un tableau mitigé pour les États africains. Alors que cette rencontre mondiale sur le climat est un forum crucial pour discuter des enjeux planétaires liés aux changements climatiques, les représentants africains expriment des réserves quant aux résultats obtenus jusqu’à présent.
Le constat inquiétant réside dans le nombre record de lobbyistes des énergies fossiles présents à cette COP, ainsi que dans l’absence marquante des présidents de la Chine et des États-Unis. Ces deux pays, responsables à eux seuls de 45% des émissions mondiales de CO2, ont choisi de briller par l’absence de leurs chefs d’États.
Au-delà des engagements annoncés par les différentes parties, les négociations techniques sont en cours pour trouver des solutions concrètes. Pourtant, plusieurs dirigeants et délégués africains jugent ces promesses insuffisantes. Madeleine Diouf Sarr, diplomate sénégalaise et porte-parole des 46 États formant le groupe des Pays les Moins Avancés (PMA), exprime une préoccupation majeure : « Un fonds vide ne peut pas apporter de secours à nos concitoyens. » Elle souligne l’ampleur des pertes, tant économiques, environnementales qu’humaines, qui se chiffrent en centaines de milliards d’euros dans ces nations parmi les plus démunies. Trente-trois de ces pays sont situés en Afrique, et un dans la région des Caraïbes, à savoir Haïti.
Les États africains insistent sur la nécessité de mobiliser des ressources financières adéquates pour soutenir les initiatives d’adaptation et d’atténuation dans la région. Bien que les attentes des États africains n’aient pas été entièrement satisfaites à ce stade de la COP 28, des opportunités subsistent pour des avancées significatives. Les négociations en cours offrent aux délégués africains une plateforme pour continuer à plaider en faveur d’une action climatique plus audacieuse et inclusive, tout en soulignant les contributions positives déjà réalisées sur le continent.
L’espoir demeure que la deuxième moitié de la conférence apportera des résultats plus en phase avec les aspirations et les besoins des nations africaines dans la lutte mondiale contre le changement climatique. La bataille pour un avenir plus durable continue.
En amont de la COP28: une action continue pour la sauvegarde environnementale
En anticipation à la COP 28, en cours à Dubaï jusqu’au 12 décembre, le CRADESC a joué un rôle actif dans la promotion des initiatives visant une transition énergétique équitable. La récente Assemblée Générale Oilwatch Africa organisée du 07 au 11 Août organisée par le CRADESC au Sénégal a rassemblé des acteurs de plus de 20 pays africains pour débattre des enjeux liés au changement climatique et aux énergies renouvelables. Cette rencontre a souligné l’expansion des activités d’extraction des combustibles fossiles en Afrique, appelant à une transition énergétique équitable.Au cours de cet évènement, les participants ont lancé un appel poignant, formulant des recommandations adressées aux dirigeants africains. Ils exhortent ces derniers à demander, lors de la COP 28, une reconnaissance de la dette climatique en faveur du continent africain, en réparation des siècles de pollution et d’exploitation subis. Cette requête vise à obtenir une réparation climatique substantielle pour le continent. Un idéal qui au vu des négociations en cours à la COP 28 est encore loin d’être atteint.
Ces acteurs de développement ont été témoins des souffrances endurées par les populations impactées par les effets du changement climatique lors de leurs visites au nord du Sénégal, dans la région de Saint-Louis. Profondément ébranlés par l’avancée inexorable de la mer, ces habitants de la langue de Barbarie ont été contraints d’abandonner leurs foyers et ont été relogés dans les camps de Boudiouck et de Khar Yallah, dépourvus d’eau et d’électricité.
Ils ont également assisté au calvaire des pêcheurs de la région dont les moyens de subsistance sont durement affectés par l’installation d’une plateforme gazière au large des eaux de Guet Ndar, causant une rareté des ressources halieutiques.
Projet d’exploitation du pétrole au large de Sangomar : une analyse critique sonne l’alerte pour la sauvegarde du Delta du Saloum
Au courant de l’Assemblée générale de Oilwatch Africa, le CRADESC a présenté le 8 août 2023 une analyse critique de l’étude d’impact environnemental et social du projet du champ Sangomar. Cette évaluation réalisée en collaboration avec ELAW (Environmental Law Alliance Worldwide), met en lumière les implications néfastes du projet pétrolier de Woodside Energy dans le Delta du Saloum, un écosystème humide qui se distingue par son importance écologique, économique et sociale.
Les communautés locales, considérées comme vulnérables face à ce projet incompatible avec leurs activités, ont partagé leurs inquiétudes lors de cet événement marquant. Le Delta du Saloum, qui soutient une économie centrée sur la pêche, abrite des mangroves et une biodiversité vitale. L’analyse critique, exposée avec rigueur, vise à renforcer le plaidoyer en faveur de la préservation de cette zone de haute importance.
Échange avec les Femmes affectées par le changement climatique à Saint-Louis
Un atelier d’échange, organisé en partenariat avec WOMIN, a réuni les femmes de la région de Saint-Louis pour partager leurs expériences face aux impacts dévastateurs du changement climatique. Principalement engagées dans la transformation des produits de la pêche, ces femmes ont vivement exprimé leurs préoccupations face à l’impact considérable que l’exploitation du gaz pourrait avoir sur leurs moyens de subsistance.
L’avancée de la mer, la diminution de la pluviométrie, les températures extrêmes, et la rareté croissante des ressources halieutiques ont été au cœur de leurs témoignages. Ces défis environnementaux ont des répercussions directes sur leur quotidien et celui de leurs enfants, soulignant l’urgence de mesures pour atténuer ces impacts. Le besoin impératif de programmes visant à renforcer la résilience des communautés locales de la région de Saint-Louis est désormais indéniable, une étape cruciale pour protéger ces populations vulnérables contre les ravages du changement climatique.
à l’échelle internationale, la participation active du CRADESC à des événements tels que la semaine climatique de Nairobi au Kenya et l’Assemblée des Femmes pour le Climat au Nigeria démontre son engagement à défendre les droits des communautés affectées par l’industrie extractive et à renforcer sa position favorable à une sortie des énergies fossiles.
De plus, le plaidoyer pour la protection du delta du Saloum contre l’exploitation des énergies fossiles suit son cours. Les équipes du CRADESC sont de retour d’une mission cruciale dans le Delta du Saloum, ayant entrepris une cartographie participative des ressources naturelles et du patrimoine culturel potentiellement menacés par l’exploitation du pétrole. La première phase de cette initiative a permis aux communautés d’établir le profil historique de cette zone éco-géographique pour mieux saisir leurs droits traditionnels sur les ressources naturelles. La seconde phase en cours consiste à élaborer un protocole bioculturel communautaire qui décline les règles de gouvernance et le modèle optimal d’interactions avec les acteurs externes pour une paix et une justice sociales. Cette initiative met en lumière les ressources naturelles et un patrimoine culturel reconnu de valeur exceptionnelle du Delta du Saloum dont la sauvegarde reste impérative dans le contexte de l’exploration pétrolière. Cette mission prend une dimension stratégique en contribuant à la sensibilisation des communautés et à la mobilisation internationale pour la protection de l’environnement. Cette implication revêt une pertinence particulière au sein des discussions en cours à la COP28, mettant en lumière l’importance de la préservation du Delta du Saloum dans le contexte global des enjeux climatiques. Ce plaidoyer en faveur de la protection du Delta du Saloum, ajouté à la publication d’un bulletin sur la transition énergétique en collaboration avec les organisations Heinrich Böll et legs Africa soulignent les actions concrètes entreprises pour influencer les politiques en faveur de la justice climatique.
Engagement pour une transition énergétique équitable en Afrique
Le CRADESC reste résolument engagé à participer à l’avènement d’une ère de transition énergétique équitable. Les enseignements de la COP 27 guident les actions présentes, mettant en lumière l’impératif d’une transition équitable loin des énergies fossiles.
Le CRADESC plaide pour une sortie juste des énergies fossiles, soulignant que malgré la richesse en ressources naturelles de l’Afrique, l’accès à l’énergie demeure un défi majeur. L’effectivité du fonds des pertes et dommages est un point crucial pour le CRADESC, qui attend des États qu’ils honorent les engagements pris jusqu’ici lors de cette COP 28. Il est important que ces pays industrialisés reconnaissent l’impact disproportionné du changement climatique sur le continent africain et assument leur responsabilité.
Pour contribuer à l’atteinte des objectifs de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, conformément à l’Accord de Paris, le CRADESC poursuit ses actions concrètes visant à influencer les politiques climatiques et à encourager une transition énergétique équitable en Afrique.
La COP 28 en cours révèle un paysage complexe d’engagements, de défis et d’espoirs pour l’avenir climatique mondial. Les débats intenses, les négociations en cours, et les positions divergentes soulignent la nécessité d’une action climatique pressante. Les préoccupations africaines et les lacunes dans les engagements des grandes puissances soulignent l’importance d’une approche inclusive. L’implication active du CRADESC témoigne de l’engagement local et de la société civile pour un avenir durable. Alors que la COP28 se poursuit, la deuxième moitié offre une opportunité cruciale pour des avancées significatives. Dans cette course contre le temps, il est essentiel que les acteurs mondiaux transcendent les intérêts individuels pour forger des solutions adaptées aux besoins des pays vulnérables face aux effets du changement climatique.